dimanche 5 décembre 2021

Un pauvre crie

 

A la suite de la publication du rapport de la CIASE, des résolutions prises par les évêques de France, des nombreuses réunions organisées dans les paroisses, j’ai le sentiment qu’il manque quelque chose qui me fait dire que j’ai un peu mal à mon Église…

Beaucoup de bonnes décisions, souvent nécessaires, ont été prises : placement au centre des victimes qui sont entendues et écoutées, demandes de pardon, promesses de réparation… J’attendais, en plus de tout cela, une parole un peu plus prophétique. Certes, j’ai bien entendu Mgr Éric de Moulins-Beaufort dire qu’il ne savait pas si l’Église de France aurait les ressources suffisantes pour payer les réparations financières, mais qu’il fallait y aller quand même. Cela m’a rappelé l’histoire d’Abraham, qui a quitté son pays sans savoir où il allait, mais sûr que Dieu l’accompagnerait vers le pays qu’il allait lui montrer (cf. Gn 12, 1).

Notre Église a deux piliers, les saints apôtres Pierre et Paul. Ces deux piliers n’ont pas toujours été très solides : Pierre a renié Jésus, Paul a été un persécuteur des premiers Chrétiens, complice du meurtre de saint Étienne. Et ce sont précisément ces deux apôtres, deux pauvres types pourrait-on dire, qui ont édifié cette Église qui a porté la parole de Jésus Christ jusqu’aux extrémités de la terre, une Église qui compte plus de 1,3 milliards de fidèles. Ne pourrait-on pas imaginer que l’un ou l’autre de ces prêtres coupables d’actes pédo-criminels soit - comme Saint Paul sur le chemin de Damas – soudainement enveloppé d’une clarté venant du ciel (cf. Ac 9, 3) ? Je rêve sans doute, mais ce rêve ne me paraît pas contraire à ce que j’ai appris par la méditation du Nouveau Testament et des Psaumes.

J’aime beaucoup les Béatitudes, l’Évangile de ma profession de foi, l’Évangile de notre messe de mariage.

En remettant les victimes au centre, nous nous donnons de belles occasions :

-          De connaître le royaume des Cieux, car les victimes sont des pauvres de cœur, ceux qui attendent qu’on leur tende la main pour nous montrer le chemin qui mène à ce royaume qu’ils connaissent car ils reviennent de la grande épreuve et sont vêtus de robes blanches, des robes blanchies par le sang de l’Agneau. (cf. Ap 7, 13-14).

-          De pleurer avec ceux qui pleurent pour être consolés avec eux, car Dieu essuiera toute larme de leurs yeux (Ap 7, 17).

-          De pouvoir avec eux voir Dieu, car leurs cœurs purifiés nous le montreront.

-          D’être avec eux semblables à lui car nous le verrons tel qu’il est, c’est-à-dire doux et humble de cœur, et ensemble nous recevrons la terre en héritage. Si nous recevons la terre en héritage, c’est que nous en aurons été jugés dignes par tout ce que nous aurons faits pour conserver la paix entre nous, être ou rester des artisans de paix, malgré les ambiances de haine qu’on peut parfois ressentir et qui ressemblent aux cris de la foule hurlant : « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas ! »

Reste enfin ce qui a trait à la justice et à la miséricorde ; cela nous concerne tous. Quelle doit-être notre attitude face à ceux qui ont commis des crimes qui peuvent paraître impardonnables ? Il faut que justice soit faite pour pouvoir tous rester le plus possible "ajustés" à Dieu et être "rassasiés" ; il faut que cette justice soit faite sans oublier ce que nous dit Jésus : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. » (Lc 6, 37-38).

Quant au pardon et à la miséricorde, c’est peut-être le plus difficile à faire, mais pour obtenir la miséricorde pour chacun de nous, nous devons d’abord être miséricordieux. Il y a une solution quand c’est trop difficile à faire… Jésus sur la croix n’a pas dit : « Je vous pardonne », mais : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34).

Dans mes mauvais rêves, j’imagine que certains voudraient édifier une nouvelle Église, une Église de gens parfaits, alors que nous sommes tous un peu à l’image des apôtres Pierre et Paul, des pauvres types, pécheurs, mais ayant le désir de devenir des saints comme nous le demande Saint Pierre lui-même : « Comme des enfants qui obéissent, cessez de vous conformer aux convoitises d’autrefois, quand vous étiez dans l’ignorance, mais, à l’exemple du Dieu saint qui vous a appelés, devenez saints, vous aussi, dans toute votre conduite, puisqu’il est écrit : Vous serez saints, car moi, je suis saint. » (1P 1, 14-16). Cette sainteté à laquelle nous devons aspirer, nous la trouverons au contact des personnes les plus fragiles dans notre société, les anawim des temps modernes, ceux qui savent qu’ils ne sauront pas s’en sortir sans l’aide des autres et qui tendent la main. Ils sont pour moi les prophètes des temps modernes - c'est ce que j'ai appris à Foi et Lumière et au contact de Julie (je me rappelle cet article de Panorama intitulé "ma fille est un prophète") - et ils nous montrent le chemin vers la sainteté car « leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 18, 10).

Et il y a ce très beau Psaume 33 ; même si la fin n’est pas réjouissante pour les "méchants", il y a de très beaux versets pour réconforter les "pauvres" :

Je cherche le Seigneur, il me répond : de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage.

Un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses. (Ps33, 5-7)

 

Pour des enfants dans le désarroi, il y a toujours la possibilité de se réfugier et de demander conseil à une maman. Tournons-nous vers notre maman du ciel et implorons-la avec insistance avec cette si belle prière, nous serons certainement exaucés. Il n’y a qu’à entendre ces mots si doux comme "Máter misericórdiae", "lacrimárum válle", " Advocáta nóstra"…

Salve, Regína, Máter misericórdiæ
Víta, dulcédo, et spes nóstra, sálve.
Ad te clamámus, éxules, fílii Hévæ.
Ad te suspirámus, geméntes et flentes
in hac lacrimárum válle.
Eia ergo, Advocáta nóstra,
íllos túos misericórdes óculos
ad nos convérte.
Et Jésum, benedíctum frúctum véntris túi,
nóbis post hoc exsílium osténde.
O clémens, O pía, O dúlcis Vírgo María.

dimanche 11 avril 2021

12 avril 1971 – 12 avril 2021 Foi et Lumière a 50 ans !

 Le pèlerinage organisé à Lourdes en 1971 était, au départ, une réaction à ce qu’avaient vécu Gérard et Camille Proffit, les parents de Loïc et Thaddée. Venus à Lourdes pour présenter leurs enfants lourdement handicapés à Marie, ils avaient entendu au sein du sanctuaire la foule leur dire : "quand on a des enfants comme ça, on reste chez soi !"[1]. Cette foule leur demandait de rester confinés à la maison et de suivre scrupuleusement les gestes barrières ; on ne sait jamais, ces enfants étaient peut-être porteurs d’un virus dangereux et contagieux.

Cette même foule avait déjà réclamé à Pilate : "Crucifie-le, crucifie-le !".

Gérard et Camille sont revenus à Lourdes à Pâques 1971 avec une foule très différente. Ils étaient 12000 dont 4000 ayant un handicap mental, venus de 15 pays. Tous avaient entendu cet appel de Dieu au baptême de Jésus : "Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie.[2]" Cette foule-là était une foule joyeuse, très joyeuse même. Les pèlerins, après avoir reçu ce baptême à Lourdes, furent des témoins de cette joie jusqu’aux extrémités de la terre.

Mais alors, c’était gagné, les personnes ayant un handicap mental avaient gagné leur droit d’entrer dans les sanctuaires de Lourdes ! Foi et Lumière avait-il encore un sens ? Une mission ? Oui, bien sûr, ce n’était qu’un premier pas, un tout petit pas. Il fallait encore répondre à ceux qui croyaient que les pèlerins handicapés reviendraient déçus de ne pas avoir été guéris, ce à quoi Marie-Hélène Mathieu avait répondu : "Mais nous ne demanderons que la guérison des cœurs, afin que nous les reconnaissions pleinement dans leur beauté unique et que nous les aidions à trouver leur place dans l’Eglise et la société.[3]" Mais ces réticences étaient semblables à celles des grands prêtres et des scribes qui disaient : "S’il est le Christ, qu’il descende maintenant de la croix, alors nous croirons.[4]" Ils n’avaient pas compris que c’était justement parce qu’il était le Christ qu’il était sur la croix.

Alors, si les personnes ayant un handicap mental sont acceptées dans les sanctuaires, dans les paroisses, c’est une tolérance qu’on leur concède, en faisant attention qu’elles ne fassent pas trop de bruit, qu’elles ne dérangent pas nos belles liturgies.

Il y a donc encore quelques marches à gravir pour atteindre le haut du mont de la Transfiguration et entendre à nouveau Dieu nous dire : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ![5]" La joie est une chose acquise, il reste à nous mettre à l’écoute des personnes ayant un handicap, ils ont bien des choses à nous dire, à nous apprendre. Par exemple, quand, à Lourdes, le jour du vendredi saint, ils ont commencé à chanter des Alléluias dans toute la ville de Lourdes, il y eut des regards peu amènes… Et pourtant… le message était clair. Quand Julie, après avoir pleuré pendant le récit de la Passion, se met à sourire après l’annonce de la mort de Jésus, et dit : "ça y est, maintenant, il peut ressusciter !", ça veut dire qu’elle a compris que pour ressusciter, il faut d’abord mourir… alors que nous voudrions ressusciter sans mourir ! Nous acceptons la joie de la Résurrection, mais pas la souffrance de la Passion.

Cinquante ans après notre fondation, il y a encore du travail pour annoncer la bonne nouvelle de Jésus, cette joyeuse nouvelle qu’on ne peut comprendre qu’avec un cœur simple. C'est un véritable trésor que nous devons partager le plus largement possible.



[1] Cf. Plus jamais seuls p.50

[2] Mc 1, 11

[3] Cf. Plus jamais seuls p.80

[4] Mc 15, 32

[5] Mt 17, 5