J'ai eu une vie avant Foi et Lumière... J'ai notamment été ingénieur au
ministère de la Défense en charge de programmes de réseaux de
télécommunications. Il existe une amicale des ingénieurs de l'armement qui
édite une revue (leur Hisse et Ho !) dont le dernier numéro traite du
bénévolat. On m'a demandé d'y écrire un article sur Foi et Lumière. Il a été
publié dans le numéro de ce magazine n° 113, octobre 2017 et je le publie ici
avec l'aimable autorisation de la CAIA. La photo ci-dessous qui aurait dû illustrer
l'article n'a pas été publiée, faute de place...
Deux événements
marquants
Un soir d’octobre 1983, à la conférence introductive
d’une retraite, j’ai entendu Jean Vanier dire : nous vivons dans un
monde dangereux ; il y a dans les stocks d’armement nucléaire des pays qui
en disposent, de quoi faire exploser plusieurs milliers de fois notre
planète ! Ce furent les premiers mots que j’entendais de ce grand
philosophe canadien, fondateur de l’Arche. Je fus tout d’abord, en tant que
jeune IA, très surpris d’entendre cela dans un tel cadre. Mais le thème de la
retraite (Jésus est le pauvre) m’a permis de mieux comprendre sa pensée.
Les pauvres de Dieu, appelés anawim dans la Bible, sont ceux qui ne peuvent pas
s’en sortir seuls, et qui accueillent, dans une attitude d’humilité, le soutien
de Dieu et des hommes. Le Psaume 32 m’a aussi permis de comprendre ses
premières paroles : Le salut d’un roi n’est pas dans son armée, ni
la victoire d’un guerrier dans sa force. Illusion que des chevaux pour la
victoire ; une armée ne donne pas le salut.
Un après-midi d’avril 1988, je suis allongé sur un lit
et quelqu’un me tape sur la main et me demande si je veux prendre un
café ? Je me souviens alors que je viens de tomber dans les pommes à
l’annonce du handicap de Julie par le médecin qui l’a fait naître : Monsieur,
il faut que je vous dise qu’il y a de fortes présomptions pour que Julie soit trisomique ;
gardez cela pour vous, ne le dites pas à votre femme tant qu’un pédiatre n’est
pas venu confirmer le diagnostic. Cela fut fait le soir même, mais ces
quelques heures pendant lesquelles j’ai dû garder ce secret si douloureux ont
été très difficiles à vivre. Les paroles de Jean Vanier sont vite remontées à
la surface et nous ont permis de bien accueillir notre fille et nous avons
compris que nous étions chargés d’une mission importante : faire en sorte
que Julie soit heureuse tous les jours de sa vie et qu’elle puisse rayonner
autour d’elle cette joie toute spéciale des pauvres de Dieu.
Foi et Lumière, un pays
de merveilles
Très vite, dans une communauté Foi et Lumière, nous
avons pu rencontrer d’autres parents avec qui nous avons pu partager en
profondeur et découvrir la véritable amitié, celle qui fait que l’on ne fuit
pas les difficultés des autres. Ceux qui, du jour au lendemain, sont gênés au
point de changer de trottoir quand ils nous aperçoivent ne peuvent plus être de
vrais amis. J’ai vraiment eu l’impression de rejoindre, comme Alice, le pays
des merveilles : nous étions tombés dans un puits sans fond et nous avions
traversé un océan de larmes avant de trouver la grande consolation de ne pas
rester seuls.
J’ai très vite découvert que notre petite communauté
de rencontre n’était pas la seule au monde, mais qu’il y en avait des centaines
sur tous les continents ! J’ai réalisé que la question de la souffrance
liée au handicap d’un enfant pouvait trouver sinon des réponses ou des explications,
mais un grand réconfort et une amitié si solide qu’elle dépasse les frontières
et les cultures. Une personne handicapée, qu’elle soit française, brésilienne,
rwandaise, japonaise ou égyptienne, qu’elle soit catholique, orthodoxe, copte,
anglicane, luthérienne ou méthodiste, a la même valeur et la même dignité,
rayonne partout autour d’elle le visage de Jésus Christ souffrant. Et le
partage de ces difficultés nous ramène à nos propres souffrances et nos propres
handicaps, ceux que nous savons si bien cacher : cet accueil de nos
fragilités, loin de nous abaisser, nous fait grandir en humanité, et tous
ensemble, nous cheminons sur les chemins de l’Évangile. Je me suis très vite
senti très bien au sein de ce mouvement : j’ai eu l’occasion de rencontrer
à nouveau Jean Vanier que j’ai remercié pour ses enseignements et je lui ai dit
combien j’appréciais Foi et Lumière. J’ai aussi rencontré Marie-Hélène Mathieu
qui en est, avec Jean Vanier, la co-fondatrice. Elle m’a fait partager son
enthousiasme et j’ai admiré son inlassable énergie à faire connaître les
bienfaits que peut apporter à des familles le fait de ne pas rester
seuls ; il y en a tant qui attendent de pouvoir partager, célébrer et
prier avec d’autres.
J’ai été appelé à devenir responsable de ma communauté,
puis de l’Afrique, et en 2008, j’ai été élu coordinateur international
assurant, avec une équipe de douze vice-coordinateurs, l’accompagnement des
1400 communautés présentes dans 82 pays. J’ai été, pendant tout ce temps, au
contact des pays et des provinces, essayant de me faire le plus proche de
chacun, partageant leurs joies et leurs difficultés ; je garde présent
dans mon cœur les amis handicapés qui m’ont fait l’honneur de leur amitié et
qui débordent de joie quand nous nous rencontrons à nouveau… J’ai le souvenir
de cette rencontre au Kenya où j’avais devant moi Kennedy, un jeune garçon
allongé sur un carré de tissu ; j’ai été souvent distrait car il n’a pas
cessé de me regarder avec un sourire si lumineux que je le lui rendais bien
volontiers. A la fin de la rencontre, sa sœur a replié les quatre coins du
carré de tissu et est repartie chez elle avec son frère sur le dos. Je l’ai
regardée partir avec émotion, me demandant quelle pouvait être sa vie au
quotidien… J’en ai eu une idée quand j’ai rencontré Patricia et sa maman qui
vivaient dans une maison qui devait faire environ 15m² dans un quartier pauvre
de Kampala (Ouganda). Tous mes amis handicapés à travers le monde m’ont indiqué
que le meilleur chemin pour devenir grand et fort n’était pas de regarder vers
le haut pour imiter les puissants de ce monde, mais de se pencher sur eux, de
se mettre au niveau de leur regard et de leur sourire pour découvrir la sagesse
de la simplicité. Ils ont bien compris ce que dit Saint Paul : Ce
qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de
confusion ce qui est fort (1Co 1, 27) ou Quand je suis faible,
c’est alors que je suis fort (2Co 12, 10).
Ingénierie et fragilité
Souvent, je me demande ce que je serais devenu sans ma
fille Julie ; j’aurais peut-être mieux réussi dans ma vie professionnelle,
mais ma vie aurait-elle été vraiment réussie ? Je me demande également si,
sans que je m’en sois rendu compte, je n’avais pas été influencé par cette
question de la fragilité ? L’ingénierie des réseaux de télécommunications
comprend un aspect important, la prise en compte des SPF (single points of
failure - points de panne unique) : il faut en effet porter une attention
toute particulière à ces points faibles qu’il faut entourer de grands soins
pour s’assurer du bon fonctionnement de l’ensemble.
Cette attention envers les plus faibles me fait aussi
réagir à l’ostracisme dont font l’objet ceux que je considère comme mes
amis ; je suis attristé devant cette recherche effrénée d’un bonheur trop
artificiel que la société veut nous proposer, une vie augmentée par des
technologies trompeuses, une descendance sans défaut grâce à des diagnostics
anténataux dont l’issue est souvent fatale pour ceux qui ne sont pas conformes
aux spécifications. Ne reproduit-on pas, dans les temps modernes, une volonté
de toute-puissance où l’homme, comme à Babel, essaye pathétiquement de se
transcender lui-même ?
Ghislain du Chéné (X70 – ENSTA 75) a eu une carrière
consacrée à l’ingénierie des télécoms : à la DGA (directeur des programmes
SYRACUSE 1 et 2), et à SFR où il a été directeur R&D. En parallèle, depuis
1993, il a été très engagé dans Foi et Lumière (communautés de rencontres
formées de personnes ayant un handicap mental, de leurs familles et d’amis). Il
en est le coordinateur international.
Moi, Marie, femme de Cléophas de Ghislain du Chéné –
Éditions Fidélité
Marie, femme de Cléophas était présente au pied de la
croix (cf. Jn 19, 25). Mère de Joseph, un enfant handicapé, elle va vivre des
événements extraordinaires comme une rencontre improbable avec Jésus de
Nazareth dans le Temple de Jérusalem, ou avec la pharisien Saul, grand
persécuteur des premiers chrétiens. Avec Jésus et Marie, sa mère, avec Marthe,
Marie et Lazare, ils vont être à l’origine d’une manière différente et positive
de considérer les personnes handicapées.
Ces deux associations, fondées par Jean Vanier en 1963
(l’Arche) et en 1971 avec Marie-Hélène Mathieu (Foi et Lumière) ont pour
vocation de faire connaître le don des personnes ayant un handicap mental et de
témoigner que toute personne ayant un handicap est une personne à part entière
et qu'elle en a tous les droits : droit à être aimée, reconnue et respectée
dans son être et ses choix. L’Arche, présente dans 37 pays, ce
sont des communautés et des établissements médico-sociaux à taille humaine où
vivent et travaillent ensemble des personnes en situation de handicap mental et
ceux qui les accompagnent. Foi et Lumière, présent dans 82 pays, ce sont des
communautés de rencontre formées de personnes ayant un handicap mental, de
leurs familles et d'amis, spécialement des jeunes, qui se retrouvent
régulièrement dans un esprit chrétien, pour partager leur amitié, prier
ensemble, fêter et célébrer la vie.
www.foietlumiere.org
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