jeudi 25 décembre 2014

Des voeux en provenance de Bethléem

En ce jour de Noël,  je vous partage la lettre du père Hans Putman qui nous arrive de Bethléem. En union avec tous nos amis du Moyen-Orient, il me paraît important que notre souci de prier pour la paix retrouve sa source là où le Prince de la Paix est né dans la fragilité et la pauvreté. 
Joyeux Noël à vous tous !


Bethlehem – endroit de la naissance de Jésus


« Ton Créateur est ton Epoux »
Noel 2014 – Isaïe 54,5

                + Très chers amis,

                   Peut-on s’imaginer que l’amour de Dieu-Créateur pour son peuple est si grand qu’il vient l’épouser ? On dit en général que l’homme ne trouvera de repos qu’en Dieu ; mais peut-on croire que le coeur de Dieu ne trouvera de repos qu’en s’unissant à l’homme, sa créature ?
                   Ce mystère que nous appelons « Incarnation » a eu lieu dans ce village, Bethlehem, dans lequel je vis et travaille depuis Septembre 2013. Aussi je me sens bien privilégié, mais en même temps j’ai le coeur déchiré devant la violence et le manque de justice dans cette ‘Terre Sainte’ et un peu partout dans ce monde.
                   Bethlehem est entouré d’un ’mur de la honte’ [de 8 mètres de hauteur !] qui sépare Juifs et Arabes, Israéliens et Palestiniens. On peut se demander si St. Joseph aurait pu obtenir son ‘permis’ pour aller à Bethlehem. Les bergers dont on a confisqué les terres, ne savent que jeter des pierres pour exprimer leur frustration. Hérode, aidé par Isis et les Talibans, continue à tuer les ‘enfants innocents’. Et l’auberge est toujours fermée pour les centaines de milliers de réfugiés d’Iraq et de la Syrie.
Quel sens Noel peut-il bien avoir pour le monde d’aujourd’hui ? Quel
impact peut avoir le signe de l’enfant que Dieu nous donne comme preuve de sa présence ? Si moi, je ne prête pas main forte à Dieu aujourd’hui, va-t-il pouvoir construire un monde meilleur ? Si je n’ouvre pas à ce Dieu-Amour mon coeur, son Incarnation va-t-il avoir un sens ? Si mon regard ne reflète pas l’immense bonté de Dieu, jamais l’humanité va saisir le mystère d’Emmanuel, Dieu-avec-son-peuple.
                   Aussi mes vœux pour Noel et pour l’Année Nouvelle qui s’annonce sont :
Soyez réalistes sans perdre l’espérance ; croyez en la force de l’enfant ; que par vos mains Dieu puisse construire un monde plus juste ; ne cessez de renaître et de faire de chaque jour le premier jour du reste de vos vies. Alors Noel sera joyeux et le Nouvel An béni.
                     Avec mon affection la plus sincère et ma promesse de porter vos besoins aux pieds du nouveau-né de Bethlehem. Bien vôtre, Hans Putman sj.




lundi 8 décembre 2014

Marie Heurtin : l'histoire d'une âme

La "rencontre" !

Le film “Marie Heurtin”, sorti en France en novembre, raconte l’histoire de Marie, jeune fille sourde-muette et aveugle, qui est née en 1885 et a vécu 36 ans. Le film nous présente - de très belle manière - comment elle fut sortie de son enfermement par sœur Marguerite, une religieuse de l’institut de Larnay, où des jeunes filles sourdes sont prises en charge. Mais Marie n’est pas que sourde et entrer en relation avec elle se révèle extrêmement compliqué ! Ses parents, très modestes, étaient allés jusqu’au bout de ce qu’ils pouvaient faire avec leur amour et leur bonne volonté ; ils sentaient qu’ils devaient passer le relais à d’autres pour que leur fille puisse progresser et grandir. Un médecin leur avait conseillé de la faire interner, la jugeant “débile”, mais ils ont voulu pour elle ce qu’ils pensaient le meilleur, cet institut tenu par des religieuses. Mais la mère supérieure n’est pas loin de penser comme le médecin : « Cette petite est sourde et aveugle de naissance ; à force, son intelligence s’est certainement racornie ». Mais sœur Marguerite a eu une révélation : « aujourd’hui, j’ai rencontré une âme, une âme toute petite, toute fragile, une âme emprisonnée, mais une âme que j’ai vu briller de mille feux à travers les barreaux de sa prison ». Et elle réussit à vaincre les doutes de sa mère supérieure, sans “trop” aller à l’encontre de son vœu d’obéissance !

Marie n’aime pas ce “corps-prison” et n’aime pas la terre qui l’a formée ainsi. Elle ne réalise pas qu’elle porte en elle un trésor, “un trésor que nous portons comme dans des poteries sans valeur” (2Co 4, 7). Elle considère que cette poterie est fêlée. Mais à travers les fêlures, la lumière peut passer et c’est ainsi que sœur Marguerite peut réaliser le trésor que porte ce vase d’argile. Cette rencontre se passe dans un arbre, car Marie fuit la terre et essaie de se rapprocher de la lumière qu’elle peut sentir par la chaleur sur sa peau. Marie est aussi attirée par l’eau : on peut la voir danser au milieu des flocons de neige qui tombent du ciel ; on aurait pu certainement la voir réagir de la même manière sous la pluie.
Marie signe son premier mot : "couteau"
Sœur Marguerite, à force de volonté, voire d’obstination, réussit petit à petit à “apprivoiser” Marie et à lui apprendre, de manière empirique, une langue des signes qui passe par le toucher. Et au cours d’une visite de ses parents, elle est toute fière de pouvoir leur dire ce qu’elle n’avait jamais pu dire jusque là : « je vous aime ! ».
L’intelligence cognitive de Marie était prisonnière de ses handicaps, mais son intelligence intuitive lui a permis d’abord de créer une relation de confiance avec sœur Marguerite, et ensuite de libérer toutes ses capacités.
Marie se révolte violemment quand sœur Marguerite lui parle de Dieu : « je refuse un Dieu que je ne peux pas toucher ni sentir ! ». Et le film n’en dit pas plus… Je n’imaginais pas que la transformation de Marie ne se soit pas accompagnée d’une “vraie rencontre” avec notre Dieu qui se laisse toucher, sentir et goûter dans l’Eucharistie : “ Ce qui était depuis le commencement, |…] ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons” (1Jn 1, 1). Et j’ai été heureux de trouver ce texte écrit par Marie Heurtin elle-même : “Je me rappelle souvent la grande joie que j’ai éprouvée le jour de ma 1ere Communion. Je suis heureuse de recevoir souvent le bon Jésus dans mon cœur, parce que je peux le prier pour les personnes qui m’ont fait du bien”.
Marie a aussi guéri sœur Marguerite d’un autre aveuglement, et cela par l’intermédiaire de la mère supérieure, celle-là même qui pensait que son intelligence s’était “racornie”. Sœur Marguerite est allée au bout de ses forces et elle est en train de mourir ; elle refuse que Marie la voie dans cet état et garde sa porte fermée, car elle est dans une grande angoisse de ce grand départ et ne veut pas que Marie découvre cette fragilité… Alors que l’on venait d’entendre au réfectoire la lecture des Actes des Apôtres sur l’aveuglement de Paul à son arrivée à Damas, c’est la mère supérieure qui va faire tomber les écailles des yeux de sœur Marguerite. Il faut dire qu’elle vient de faire la même rencontre que sœur Marguerite avec l’âme de Marie ; celle-ci est à nouveau dans un arbre et, du haut de son échelle, la mère supérieure étend sa main vers celle de Marie et leurs âmes se rencontrent ! Elle retourne prier sœur Marguerite d’accepter de revoir Marie : « Elle est prête, elle ! Plus que vous ! ». Et Marie, qui a compris que la terre peut donner des fruits bons et savoureux (on la voit dans le potager s’émerveiller des belles tomates !), peut accompagner jusque dans la mort celle qui l’avait si bien accompagnée dans la vie. Le dernier mot qu’elle entend de son éducatrice est : « vis ! ».
En 1908, Marie Heurtin est allée faire un pèlerinage à Lourdes et ce fut pour elle une très grande joie ! Elle en rend compte dans son journal :
« En partant de Poitiers mon cœur tressaillait d’allégresse en pensant que j’irai bientôt m’agenouiller au pied de la grotte de l’Immaculée Conception. Pendant que j’étais en chemin de fer, je priais en songeant à la Ste Vierge, j’attendais avec impatience l’arrivée à Lourdes. En arrivant mon cœur surabondait d’une joie inexprimable ; aussitôt j’ai eu le bonheur de communier dans l’église du Rosaire, le lendemain à la Basilique, puis à la Grotte.
Là je sentais la présence réelle de la Sainte Vierge et qu’elle me regardait avec bonté. Par obéissance je lui ai demandé la vue pour sa gloire ; mais elle ne me l’a pas obtenue, je reste aveugle, je ne suis pas triste, je suis aussi bien contente de faire la volonté du bon Dieu et de la Sainte Vierge avec l’espérance que je verrai mieux dans le ciel les splendeurs éternelles du bon Dieu et de la Sainte Vierge. J’ai beaucoup prié la Sainte Vierge pour ma sanctification et pour m’obtenir la grâce d’une bonne mort, […] pour les besoins spirituels et temporels de mes parents.
J’ai été très émue de compassion en voyant ces pauvres malades qui ne sont pas guéris. Ces malades étaient placés sur le passage du Très Saint Sacrement ; j’ai prié avec eux pour demander leur guérison pas la mienne. J’éprouvai une grande douce consolation au passage du Saint Sacrement. Quand il passait devant moi, je sentais que le bon Jésus me donnait des grâces de courage et de résignation pour supporter ma triple infirmité.
Marie me parlait intérieurement comme elle avait parle à Bernadette me disant de ne pas me rendre heureuse sur la terre, mais dans l’autre vie.
J’ai quitté la Grotte de Lourdes en pleurant et en disant à Marie que je la verrai bientôt dans le ciel. Je sais bien que Marie si bonne me protègera jusqu’à ma mort. Je conserverai toujours le souvenir de mon pèlerinage à Lourdes et des bontés de Marie pour moi »
En résumé, le film illustre très bien cett parole de l'Évangile de saint Jean : "Ni elle, ni ses parents n'ont péché. Mais c'était pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en elle".

vendredi 5 décembre 2014

III° Congrès Mondial des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles

Du 20 au 22 novembre, plus de 300 personnes, venues d’une quarantaine de pays et représentant une centaine de mouvements ou communautés, ont participé au III° Congrès Mondial des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles, organisé par le Conseil pontifical pour les laïcs. Les précédentes rencontres s’étaient déroulées en 1998 à Rome avec Saint Jean-Paul II et en 2006 à Rocca di Papa avec Benoît XVI.
En 1998, le Saint Pape avait « rendu grâces au Seigneur pour ce printemps de l’Église suscité par la force rénovatrice de l’Esprit ». En 2006, Benoît XVI avait demandé : « Apportez la lumière du Christ dans tous les milieux sociaux et culturels dans lesquels vous vivez. L'élan missionnaire est la preuve de la radicalité d'une expérience de fidélité toujours renouvelée à son propre charisme, qui conduit à dépasser tout repli las et égoïste sur soi. Illuminez l'obscurité d'un monde bouleversé par les messages contradictoires des idéologies! »
L'audience avec le Pape François
A chaque congrès son pape ! Cette fois, nous avons été reçus en audience par le pape François qui nous a proposé quelques suggestions pour notre chemin de foi et de vie ecclésiale :« Pour atteindre la maturité ecclésiale, vous devez conserver la fraîcheur du charisme, respecter la liberté des personnes et chercher toujours la communion. Cependant, n’oubliez pas que pour atteindre cet objectif, la conversion doit être missionnaire : la force de surmonter les tentations et ses propres lacunes vient de la joie profonde que donne l’annonce de l’Evangile. Et c’est le fondement de vos charismes ».

Le pape est parti ; je n'ai pas pu le saluer...
Le congrès s’est tenu à Rome, dans le Collège Pontifical International Maria Mater Ecclesiae, et avait pour thème, quelques mois après la publication de l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, « La joie de l’Évangile, une joie missionnaire... ». Avec les autres délégués de Foi et Lumière, le père Isaac, Paolo Tantaro et Bruno Galante, nous avons répondu à l’invitation du Conseil Pontifical pour les laïcs et avons revêtu nos habits de missionnaires de la joie ! Ces trois jours furent excellents, aussi bien par la qualité des présentations, par les temps de  prières ou les célébrations eucharistiques, que par les échanges avec les autres participants. Nous avons véritablement vécu ces journées dans l’esprit du cénacle comme nous y a invité le Cardinal Stanisław Ryłko, avec nos multiples charismes, mais avec le même Esprit (cf. 1Co 12, 4).

Des congressistes très attentifs
Je ne saurais citer tous les orateurs qui se sont succédé à la tribune, tellement ils ont tous été porteurs d’un message très riche, mais j’ai été plus particulièrement marqué par trois d’entre eux :
Fabrice Hadjadj (qui s’est présenté comme juif de nom arabe et de confession catholique) a été éblouissant pour nous parler de “la conversion missionnaire : sortir de soi-même pour se laisser provoquer par les signes des temps” (pour lire le texte de sa conférence). C’est impossible d’en faire un résumé, mais quand j’ai pu poser une question, j’ai repris une de ses formules : « Jésus envoie ses disciples non en les équipant, mais en les dépouillant ». Et j’ai abondé dans son sens en disant combien les personnes ayant un handicap mental nous dépouillaient pour nous ramener à l’essentiel de l’Évangile.
Monseigneur Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, nous a parlé sur le thème “Charismes : richesse pour les diocèses” : il était bien placé pour cela, car il a accueilli un grand nombre de communautés nouvelles dans son diocèse. Il a commencé en citant le Pape Benoît XVI : « les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles ne sont pas un problème ou un risque de plus, qui s'ajoutent à nos charges déjà lourdes. Non ! Ils sont un don du Seigneur, une ressource précieuse pour enrichir avec leurs charismes toute la communauté chrétienne » (Benoît XVI, mai 2008). Puis il nous a donné sa propre “grille de lecture” pour accueillir, accompagner et réguler ces mouvements dans leur croissance. La responsabilité d’un évêque est d’accueillir en prenant conscience des charismes prophétiques, mais aussi de faire jouer la sollicitude du pasteur dans sa dimension de vérification et de discernement quant à la maturité du charisme ; il ne faut pas confondre le charisme du fondateur et celui du mouvement qui peuvent parfois diverger. Je crois que nous avons là (en espérant que le texte de la conférence sera disponible) un outil qui peut nous permettre de nous assurer que nous avons bien conservé la fraicheur de notre charisme.
Mary Healy a parlé du “génie féminin dans l’évangélisation”, et c’était génial ! En trois tableaux, l’annonciation et la visitation, la rencontre avec la Samaritaine et l’onction de Béthanie, nous avons été transportés deux mille ans en arrière et avons été les spectateurs émerveillés de ces trois épisodes racontés avec un enthousiasme exceptionnel ! (Pour lire le texte de sa conférence)

 Parmi les participants, il y avait de nombreux prêtres, évêques et cinq cardinaux ! et les pauses et repas étaient l’occasion de mieux se connaître ou se reconnaître : j’ai retrouvé Eileen Glass, vice-responsable internationale de l’Arche (que j’avais déjà retrouvée à l’aéroport Charles de Gaulle !), les délégués de l’Emmanuel ou des Foyers de Charité (le père Hervé Gosselin, du foyer de Tressaint, était accompagné de deux personnes des foyers de Kampala et de Bujumbura). J’ai aussi fait connaissance avec des Portugais, des Argentins, des Singapouriens, des Philippins, des Irlandais… j’ai fait la connaissance du Père Daniel-Ange que j’avais entendu lors d’une conférence alors qu’il revenait du Rwanda il y a plus de vingt ans, et du frère Alois de la communauté de Taizé, un homme vraiment chaleureux et proche de Foi et Lumière… Nous étions tous vraiment en communion les uns avec les autres !
Avec Paolo devant le stand
Nous avions aussi un petit stand avec des documents Foi et Lumière en français, en anglais et en italien, ce qui nous a permis de mieux nous faire connaître et de mettre déjà en pratique la joie missionnaire !

Pendant ce congrès, j’ai pu parler un moment avec le Cardinal Stanisław Ryłko et je lui ai remis une lettre que nous avions préparée avec Anne-Marie Pike après la publication des conclusions du synode extraordinaire sur la famille ; nous avions été heureux de voir que le texte final comprenait une phrase qui disait : « l’Église soutient les familles qui accueillent, élèvent et entourent de leur affection des enfants handicapés ». Mais nous aurions aimé que cet engagement aille encore plus loin et reconnaisse la mission d’évangélisation des plus petits ; je lui ai rappelé ce qu’il avait dit à Jean Vanier : « Vous avez créé une véritable révolution copernicienne, ce n’est plus vous qui faites du bien aux personnes qui ont un handicap, mais vous dites que ce sont elles qui vous font du bien ! ». Il m’a remercié et m’a dit que j’étais tout à fait dans ma mission en disant de telles choses et qu’il agirait dans le sens que nous demandions. Il a tenu  parole car il a répondu à notre lettre en disant qu’il avait « transmis notre requête au secrétaire du synode, le Cardinal Baldisseri, lui enjoignant de promouvoir la discussion sur ce thème lors du deuxième synode sur la famille. »