Jean Vanier a écrit à Mirna pour lui demander des nouvelles ; elle lui a longuement répondu et, avec leur autorisation à tous les deux, je vous fais part de cette lettre qui est très émouvante car elle décrit de l'intérieur ce que vivent les chrétiens de cette ville martyre. Elle dit aussi comment Foi et Lumière demeure source de joie et d'amitié au milieu des ruines et des décombres de la ville, comment Foi et Lumière peut allumer des lueurs d'espérance dans les ténèbres.
Nous vivons la plupart du temps nos rencontres de communauté dans l'insouciance ; il ne faut pas oublier que cette joyeuse nouvelle que nous avons à faire connaître est un fabuleux trésor, un trésor qui peut faire des miracles dans les circonstances les plus difficiles ou tragiques de notre monde. Soyons bien conscients de cette dimension de notre mouvement, et n'hésitons pas à continuer à annoncer Foi et Lumière, à proclamer la Parole, à intervenir à temps et à contretemps, à encourager avec patience et souci d'instruire (2 Tm 4, 2), c'est ce que font Mirna et les communautés d'Alep.
Cher Jean,
Nous vivons la plupart du temps nos rencontres de communauté dans l'insouciance ; il ne faut pas oublier que cette joyeuse nouvelle que nous avons à faire connaître est un fabuleux trésor, un trésor qui peut faire des miracles dans les circonstances les plus difficiles ou tragiques de notre monde. Soyons bien conscients de cette dimension de notre mouvement, et n'hésitons pas à continuer à annoncer Foi et Lumière, à proclamer la Parole, à intervenir à temps et à contretemps, à encourager avec patience et souci d'instruire (2 Tm 4, 2), c'est ce que font Mirna et les communautés d'Alep.
Cher Jean,
Merci beaucoup… Je vais bien, comme tous autour de moi. Il
n’y a pas de réseau à Alep depuis mon dernier message… et maintenant, nous nous
débrouillons pour trouver d’autres moyens pour pouvoir rester en contact.
Alep est une ville si meurtrie, la semaine de Pâques fut
très difficile pour les habitants. De nombreux missiles sont tombés sur la
ville à minuit, tout le monde dormait ; 7 bâtiments ont été totalement
détruits, et beaucoup d’autres en partie détruits ; de nombreuses familles
ont été tuées, les funérailles concernaient des familles entières, le père, la
mère, les enfants étaient tous enterrés en même temps. La peine à Alep fut
immense et engendra un nouveau flot de départs : des habitants, des familles
ont quitté Alep pour un lieu plus sûr, ceux qui sont restés vivent des moments
très difficiles, ils ont si peur, et c’est la peur qui guide leurs décisions,
leur vision de la vie, leur vision de leur avenir.
Aujourd’hui encore, un obus de mortier est tombé. Depuis plus
d’une semaine, nous n’avons plus ni eau ni électricité. Tout le reste est
disponible, nourriture, produits ménagers… mais c’est très cher. La route
principale qui relie les villes est devenue très longue à parcourir à cause des
nombreux points de contrôle et avec de gros risques. Les dangers les plus
grands aujourd’hui sont la division, la haine, la peur de l’autre, le manque
d’espoir, le manque de sens.
Avec l’aide de Nabil, je peux voir quelques lumières au
milieu des ténèbres. Nabil fait partie de ma communauté depuis 28 ans ;
nous avons une longue histoire commune, beaucoup de souvenirs, des moments de
joie, des moments de tension. Il travaille dans un atelier proche de mon bureau
et quand il rentre chez lui, il nous rend visite pour quelques minutes, saluant
chacun. Il demande souvent à mes collègues (il l’a même demandé une fois au
directeur du secteur de l’éducation gouvernementale lors d’une visite
officielle) : « qui es-tu ? Es-tu un membre de Foi et
Lumière ? » Et quand ils répondent négativement… il dit :
« ooooooooh nooooon, et pourquoi pas ? » Puis il se met à les
inviter à nos rencontres de Foi et Lumière. Je constate le changement chez ceux
qui au bureau sont en contact avec Nabil : ils sont plus ouverts, heureux
de le rencontrer et de rire avec lui, même s’ils ne comprennent pas tout ce
qu’il leur dit. Nabil appelle à ouvrir les portes, à faire tomber les barrières
à une époque où, en Syrie, beaucoup d’autres essaient de construire des murs
très épais et de fermer les portes.
Avec les communautés Foi et Lumière, nous pouvons encore
vivre la joie et l’amitié. Nous avons célébré la fête des mères, toutes les
communautés se sont retrouvées ensemble : nous avons commencé par
apprendre un chant, nous avons parlé de la valeur des mamans, puis nous avons
dansé, nous avons partagé un petit repas…
Félicitations pour le "prix Templeton" ! C’est
pour notre monde une source d’espérance. Je trouve que c’est une très bonne
nouvelle. C’est important, pour conserver de l’espoir, qu’il y ait des fondations
et des personnes qui cherchent et encouragent la paix pour notre monde, et qui
expriment ce besoin. Il faut que nous fassions connaître le chemin de la paix,
encourager les gens à se rencontrer et à ne pas avoir peur les uns des autres.
Le temps de Pâques est très approprié à ce que nous sommes
en train de vivre, nous avons besoin de la paix de Jésus ressuscité quand il
dit à ses disciples "la paix soit avec vous" et nous avons aussi
besoin de la "force du Saint Esprit". J’essaye de garder mes mains libres
et ouvertes pour recevoir ce don en prenant du temps pour prier, du temps en
silence pour demeurer proche de Dieu, pour vivre de sa paix, son amour et sa
tendresse.
Je voudrais partager avec toi quelques histoires qui m’ont
touchée. Au début de ce temps de crise, j’étais très proche d’une famille, une
famille très pauvre, un papa, une maman et leurs quatre filles ; Rita,
l’une d’entre elles est morte en tombant dans des escaliers. Son père n’a pas
pu l’enterrer car le cimetière chrétien se trouve dans un quartier dangereux
d’Alep. Il a dû louer pendant quatre jours une pièce de l’hôpital (jusqu’à ce
que sa paroisse trouve un autre endroit pour une sépulture temporaire). Pour
conserver le corps dans de bonnes conditions de température, il a loué un générateur
et de l’essence. C’est très cher pour une famille pauvre, mais le père a dit
que c’était la dernière chose qu’il pouvait offrir à sa fille et la mère a dit
que son principal souci était de trouver un lieu pour enterrer sa fille et
qu’elle puisse reposer dans l’éternité. Cette famille a vécu une semaine très
difficile.
Ce temps de crise a impacté une tradition très importante
pour notre peuple. Par exemple, la tradition du deuil et du respect que nous
devons à une personne décédée. Les musulmans enterrent leurs proches le jour
même de leur mort, c’est très important pour eux (pour montrer du respect à une
personne morte, il faut l’enterrer rapidement). Donc la célébration de
funérailles a lieu le jour même. Pour nous les chrétiens, nous pouvons attendre
le jour suivant, en gardant le corps du défunt pendant une nuit à la maison.
Seulement pour des occasions spéciales, nous pouvons attendre un peu plus (dans
le cas où il faut attendre quelqu’un qui arrive de loin).
Nous avons aussi la coutume que la famille et les amis
accompagnent le cercueil jusqu’au cimetière et ils y reviennent fréquemment
pour prier pour les défunts ; ce n’est plus possible aujourd’hui, car il
n’y a plus de pierres tombales et on ne sait plus retrouver les lieux des
sépultures. Il y a aussi le fait qu’il y a un nombre croissant de morts, des
dizaines chaque jour.
Quand un jeune garçon de douze ans a été tué par un obus de mortier, sa famille a fait imprimer une petite carte en mémoire de sa mort. Au dos
de cette carte, ils ont mis la prière de
Saint François d’Assise. J’ai été très touchée par cette famille, ce fut très
inspirant pour moi à Pâques de voir comment ils ont été capables de pardonner
et d’appeler les autres à devenir des artisans de paix malgré toute leur grande
douleur. Cette famille m’a aidé à comprendre Jésus sur la croix : malgré
toute sa douleur, il a été capable de penser aux autres, à leur transmettre son
amour, à les appeler à prendre soin les uns des autres.
Les mains ouvertes et en silence, je reçois la lumière de
Jésus ressuscité.
Prie pour la Syrie, pour Alep, pour toutes les familles
déplacées, et aussi pour moi.
Mirna Hayek
Syria-Aleppo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire